Un noël magique

Mercredi vingt-quatre Décembre, quelque part en Laponie. 

Un violent blizzard soufflait sur l’épais manteau neigeux, formant un nuage blanc fantomatique.  

Au milieu de ce désert de glace, un petit chalet en bois éclairé se dressait, bien loin de toute civilisation. Le Père Noël se reposait dans un imposant fauteuil recouvert d’un tissu rouge, pendant que ses lutins, fidèles parmi les fidèles, s’agglutinaient sur les machines à trier les cadeaux pour être sûr que tout serait prêt dans les temps.

Ne cherchez pas à savoir comment ce gentil vieil homme ventripotent à la barbe fournie fait pour distribuer tous ces cadeaux en si peu de temps, c’est la magie de Noël. 

Une lettre parmi le courrier arrivé en abondance en cette période de fêtes avait retenu son attention :

Cher papa Noël, Je m’appelle Léo, j’ai huit ans. J’habite un petit village nommé Sussat-les-Boulards dans le Puy de Dôme, en France. Je vis avec mon papa, Jacques et mes trois sœurs, Juliette, Manon et la petite dernière Louise, âgée de deux ans. Ma maman est morte il y a huit mois d’une leucémie. Je sais qu’elle ne reviendra pas. Désormais, elle est au Paradis où elle repose en paix. Pour Noël, j’aimerais que vous m’ameniez une nouvelle maman, gentille, simple et attentionnée. J’espère que vous penserez à moi.

Kevin

 Touché par sa requête, le père de famille avait aidé son fils à rédiger sa missive, sans réellement prêter attention au contenu de celle-ci.  Il savait qu’elle resterait sans suite et la lueur d’espoir qu’il voyait dans les yeux de l’enfant l’attristait d’avantage encore.

Jacques était abattu depuis le décès de sa femme,  mais il ne le montrait pas à ses enfants. Il venait d’être licencié par son employeur, un artisan boulanger qui ne pouvait plus faire face à la crise. De plus, il devait rendre les clefs de la maison qu’il louait dès le début du printemps prochain, ne pouvant plus payer son loyer au propriétaire. Il n’avait plus personne vers qui se tourner, sa famille et ses amis, allez savoir pourquoi, l’ayant délaissé à la mort de son épouse. Dans trois mois, il serait confronté à la dure réalité de la rue. Entretemps, il espérait pouvoir placer ses enfants dans un foyer qui s’occuperait de leur trouver une famille d’accueil pour qu’ils gardent une vie décente.

La petite troupe se tenait au bord du foyer aux braises incandescentes, se racontant des histoires de Noël, quand Léo questionna son père :

– Tu n’oublieras pas d’éteindre le feu papa, je ne voudrais pas que le Père Noël se brûle !

– Bien sûr, mon fils, lui répondit-il la gorge serrée.

Sur le coup des onze heures, les quatre enfants regagnèrent leurs chambres respectives, impatients d’être au lendemain.

Le père-noël décacheta la lettre sur le devant de laquelle était inscrit « Père-Noël, Laponie, quelque part dans le nord » en lettres cursives approximatives, et la parcourut avec la plus grande attention. Une fois sa lecture terminée, il partit à la rencontre de Nilbus, le lutin spécialiste des cadeaux extrêmes, et lui exposa le cas de l’enfant. Nilbus ne tarda pas à trouver la solution. 

Le vingt-quatre décembre au soir, sur le coup des vingt-trois heures, le Père Noël s’envola à bord de son traineau pour sa tournée annuelle : téléphones portables, consoles de jeux, circuits de voitures ou autres poupées furent distribués à travers le monde en un temps record. Personne ne fut oublié. Même Léo allait obtenir ce qu’il désirait.

Au petit matin, la maisonnée était en ébullition. Les enfants se précipitèrent sous le sapin pour découvrir, les yeux brillants, les présents que le père Noël leur avait apportés. Louise dans les bras de son père, gazouillée joyeusement. Des poupées attendaient les filles et un ours en peluche tendait les bras à la petite dernière. Non loin de la cheminée, une poupée vaudou à l’effigie d’une femme, ainsi qu’un petit sac de poudre beige sur lequel se trouvait l’inscription  « Poudre de perlipinpin », était destiné à Léo. Le tout était accompagné d’un billet que le garçon s’empressa de lire.

Saupoudrez d’un peu de poudre de perlipinpin sur la poupée et faites un vœu. Il sera alors exaucé.

Le garçon s’exécuta, sous le regard bienveillant de son père.

Midi arriva et les enfants se mirent à table. Jacques, penché au dessus du four, surveillait la cuisson de la dinde, achetée à un prix défiant toute concurrence dans un magasin d’alimentation discount. Une fois prête, il la déposa sur la table. Un agréable fumet émanait de la volaille encore suintante. En guise d’accompagnement, il avait cédé pour des frites. Bien loin de l’esprit de Nöel mais tellement plus proche des plaisirs gustatifs de ses enfants.

 Une fois assis, il entonna une prière destinée à sa femme, mère de ses enfants, puis il découpa la volaille. Il était très habile dans cet exercice. C’était lui qui s’en occupait lors des repas de famille, du temps où il avait encore une famille, autre que ses quatre jolis petits bambins. Une fois servis, les enfants commencèrent à se restaurer, n’hésitant pas à se servir de leurs doigts pour piocher les longs morceaux de pommes de terre effilés dans leurs assiettes. 

Au milieu du repas, la cloche de l’entrée tintinnabula. Jacques alla ouvrir, inquiet.

Une jolie jeune femme se trouvait dans l’embrasure de la porte. Son teint diaphane, ses cheveux bruns d’une longueur déconcertante ainsi que son sourire enjôleur ôtèrent toutes sortes de craintes au père de famille. Elle était vêtue d’un trench-coat, d’un jean bleu délavé et de bottes en fourrure.

– Excusez-moi de vous déranger, mais j’ai trouvé ceci dans l’allée devant votre maison. Ce ne serait pas à vous ? 

 Surpris, il s’exclama :

– Mon portefeuille ! J’ai dû le laisser tomber en sortant de la voiture. Merci beaucoup, madame !

Elle lui tendit l’objet en cuir noir. Le froid glacial rendait sa main tremblante. Il s’en saisit et fouilla à l’intérieur. Il en extirpa un billet de cinq euros.

– Tenez, pour vous remercier. 

Jacques perçut la gêne chez la jeune femme et il rengaina son billet illico.

– Je vous en prie, gardez-ça, lui glissa-t-elle d’une voix douce.

Il était tombé sous le charme de cette jolie jeune femme. Une irrésistible envie de l’inviter à se joindre à eux le prit.

– Vous vous appelez comment ? lui demanda-t-il en souriant.

– Nadine et vous ? 

– Jacques. Vous ne faites pas la fête comme tout le monde ? 

– Je viens d’arriver dans la région et je ne connais personne. 

Un sourire timide se dessina sur le doux visage de la jeune femme.

– Nous feriez-vous l’honneur de vous joindre à nous pour partager un bien modeste repas ? s’enquit le père de famille sur un ton chaleureux.

– Je ne voudrais pas vous déranger. 

– C’est avec plaisir que je vous le propose, insista Jacques, très enthousiaste.

 – Alors, c’est d’accord !

Du moment où elle pénétra dans la demeure, ils ne se quittèrent plus. Elle l’embaucha comme vendeur dans la boutique de vêtements qu’elle venait d’ouvrir sur Clermont-Ferrand, ce qui lui permit de refaire surface financièrement et de conserver sa maison. Ils se marièrent dans l’année et Nadine assuma son rôle de mère de substitution à merveille. Le bonheur fut de retour au sein de la maisonnée.

Le Noël suivant, le Père Noël reçut de nouveau une lettre du petit garçon.

Cher Papa Noël, Je vous remercie. Vous avez fait, à moi et à ma famille, le plus beau des cadeaux. Nous vivons heureux désormais même si nous n’avons pas oublié maman. Cette année, j’aimerais avoir un petit frère. Merci d’avance.

Kevin

Le vieil homme esquissa un sourire. Cette fois, ça ne dépendait plus de lui.